Vu de l'extérieur, ça peut sembler banal d'accepter de l'aide, ça peut même ressembler à de la chance.
Pourtant c'est loin d'être le cas, parce que ça n'est pas qu'une question de fierté mal placée, ça va plus loin que ça.
Je vais juste commencer par faire une comparaison entre un service d'aide temporaire, en urgence, et l'établissement d'un service d'aide au maintien à domicile permanent.
Quand c'est une aide d'urgence c'est ordinairement suite à une situation imprévue, imprévisible sur un long terme, et ça demeure une aide momentanée, temporaire.
L'aide est structurée plus ou moins à l'avance selon des standards courants avec peu d'ajustements donc peu d'évaluation. Le besoin a une cause très bien identifiée.
Il peut y avoir plein de raisons: dépression, grossesse à risque, convalescence de fractures, d'opération, d'AVC, etc.
Donc on sait plus ou moins à l'avance combien de temps va durer l'aide, et on sait exactement ce dont la personne aura besoin selon le diagnostic qui permet la prescription du service. Une intervenante prend le dossier et elle le gère en conséquence.
La dame a eu une fracture de la hanche? une opération? une prothèse? on agit en conséquence. Elle a rien à demander, ou si peu, juste à établir quelques faits pratico-pratique. On l'envoie chez elle, elle libère un lit d'hôpital, ça va de soi qu'elle aura besoin d'aide à domicile, besoin de transport pour ses rdv de physiothérapie, etc.
La différence pour nous, est dans la permanence de notre incapacité; il faut détailler et décortiquer soigneusement l'ampleur de notre incapacité. Il faut donner du détail, du juteux.
Tu veux une barre d'appui pour la toilette? t'as intérêt à bien développer ta difficulté à aller chier.
Tu veux un soutien parental pour tes enfants? raconte un peu la vilaine cicatrice sur le bras de ta fille qui s'est brûlée sur la mijoteuse électrique.
La différence est dans le nombre d'intervenants qu'il faut rencontrer, les évaluations toutes plus indiscrètes les unes que les autres, le nombre de demandes écrites, formelles, qu'il faut faire.
La différence est aussi dans la recherche des services, le nombres d'informations pas toujours vraies que l'on reçoit ne se comptent plus.
On nous dit qu'il existe tel service alors que ça n'existe pas et on apprend que tel autre service existe alors qu'on a jalousement gardé le secret en prétendant que ça n'existait pas.
Chaque fois il faut défoncer des portes, chaque fois il faut rencontrer des intervenantes différentes, le numéro de téléphone donné n'est jamais le bon, la ressource n'est jamais la réponse au besoin pour lequel on nous a référé là, chaque fois il faut répéter l'histoire, chaque fois il faut se mettre à nu, insister, expliquer, ressortir les évaluations médicales, expliquer les diagnostics, donner des exemples concrets de nos incapacités (moi à gérer le tout, mon mari à gérer son corps) il faut s'ouvrir le ventre et se mettre les tripes sur la table, chaque fois il faut tout tasser et faire de la place dans le temps pour être disponibles au moment où ils veulent bien nous rencontrer, chaque fois il y a des documents à remplir, le médecin à revoir, un autre professionnel à rencontrer pour valider une autre section du formulaire, des frais à payer, et la madame des assurances qui n'est pas contente, et l'employeur qui n'est pas content et qui demandent des contre-expertises (alors là il faut vraiment prouver qu'on est tout en bas de la chaîne alimentaire!), et tel autre qui veut ravoir des documents, et les paiements des assurances qui ont été arbitrairement cessés et qu'il faut remuer ciel et terre pour les rétablir, et les rencontres en thérapie suite à la tentative de suicide du mari, le jugement du psychiatre qui a pêché son diplôme dans une boîte de céréales...et j'en passe.
Il a fallu demander la vignette de stationnement pour handicapés, passer un examen de conduite pour maintenir le permis avec certificat médical qui atteste de la nuance entre l'incapacité à marcher et travailler et la capacité de conduire un véhicule automobile (et chaque médecin se lance la balle pour savoir qui va signer le certificat), faire une demande pour du transport bénévole, faire une demande pour un fauteuil roulant, une autre demande pour un fauteuil roulant motorisé, faire une demande pour le transport adapté pour handicapés, faire une demande de subvention pour faire adapter la maison aux fauteuils roulants, sans compter tout le reste, l'aide au maintien à domicile, le soutien familial pour les enfants, les paperasses, tout ce qu'on peut imaginer et même des choses qu'on ne sait pas qu'elles existent.
Il a fallu établir un réseau professionnel pour un service de livraison personnalisé à la pharmacie avec cueillette de prescription, avoir un livreur pour l'eau, demander un passage rapide au bureau de poste, faut toujours expliquer.
Au niveau personnel il faut sans cesse s'exposer, expliquer et justifier pourquoi on peut pas se rendre aux rencontres de préparation à la 1ère Communion, et pour que Fille_10 puisse faire son sacrement après déjà 1 an de préparation il faut parler au curé et expliquer encore et toujours, il faut se battre à l'école pour retirer son enfant de la concentration musique parce qu'on peut pas assumer le transport et que ça fait trop de fois que fiston doit faire 8km à pieds parce que la personne qui doit le ramener l'oublie! il faut expliquer aux enfants pourquoi ils n'ont pas le loisir de participer à des activités parascolaires à moins de quêter aux amis du transport, il faut expliquer aux écoles pourquoi les enfants vont mal, pourquoi telle chose n'est pas faite, pourquoi je ne peux pas faire la supervision qu'ils demandent parce que je suis au travail et que le papa est gelé jusqu'au oreilles grâce à la méthadone, il faut expliquer aux rares amis qui restent pourquoi il se peut qu'il y ait un lourd malaise dans la soirée si jamais le mari se met à aller mal, il faut accepter gracieusement et remercier chaleureusement la pitié des voisins qui ont parfois la gentillesse de venir déneiger l'entrée ou réparer la tondeuse, il faut expliquer aux gens pourquoi on a pas le temps de tricoter ou de téléphoner....
Le pire c'est de dépendre des autres pour les soins à donner à mes enfants, notamment pour le transport, courir après les gens pour leur demander des faveurs, expliquer les raisons, les rappeler pour confirmer, et supporter qu'ils soient oubliés, et supporter qu'on leur demande de se rendre à leur porte à 1 km de marche par temps froid alors que ça prendrait 2 minutes en voiture pour venir les chercher et les reconduire...alors ça, j'en chiâlerais.
Il faut rencontrer le regard des gens à qui on demande les services, moi jeune et en forme, pimpante, travaillant dans le secteur de la santé (Comment ça elle peut pas faire son ménage? elle prend la place des pauvres petits vieux malades et défavorisés qui ont réellement besoin EUX! alors que manifestement, avec ma belle grande maison, je devrais être une subblime actrice paresseuse.)
Ben quoi? y a des monoparentales qui font leur ménage et ne dérangent personne avec ça!
Il faut dire pourquoi on demande des services gratuits, pourquoi on ne peut pas payer les frais de services minimes des bénévoles. C'est pas évident avec cette belle maison et les 2 voitures devant la porte de faire gober aux gens qu'on a des difficultés financières. Les gens ne savent pas que mon mari a perdu 20% de son salaire depuis qu'il est en invalidité, ils ne savent pas non plus que les assurances ne remboursent que 80% des frais des médicaments et que quand la note est élevée, 20% c'est 20% de plus que quand on a pas de frais de médicaments, pas de documents à faire remplir.
Puis les gens ne réalisent pas non plus que ça coûte cher la maladie, ça veut dire qu'il faut toujours prendre des stationnements proches des entrées et souvent payants, ça veut dire toujours des stationnements payants lors des visites dans les hôpitaux, ça veut dire plein de frais connexes comme de devoir manger plus souvent au restaurant lors des rdv, payer des frais de garde pour les enfants, ça veut dire aussi manquer régulièrement des journées de travail pour le conjoint, offrir des présents aux parents des amis qui veulent bien fournir du transport aux enfants pour les activités, ça veut dire qu'il faut souvent payer des choses inhabituelles pour tenter de procurer un confort à la personne malade comme de la marijuana, un petit coussin, un réchaud pour la tasse de café pour pas être obligé de se lever....
Tout ça avec les mêmes charges financières qu'avant la maladie.
Depuis 3 ans on s'est enfoncés de 12 000$ accumulés sur les cartes de crédit diverses.
Comme dit la chanson: "Et c'est pas fini, ce n'est qu'un début..."
Il faut toujours se mettre à nu, toujours, toujours, toujours.
Il faut dire, expliquer, prouver, à tout un chacun, des parfaits étrangers, les particularités de nos difficultés, de nos incompétences, physiques, parentales, domestiques, financières, professionnelles, tout y passe.
Parce que c'est comme ça, il faut être foutrement et exceptionnellement mal pris pour avoir droit à des services permanents dans notre système de santé.
Ça devient lourd, humiliant, envahissant...les mots me manquent.
Il arrive un temps où on est fâchés, tannés, frustrés, fatigués, violés, totalement incapables d'endurer ne serait-ce qu'une banalité, c'est trop, c'est insupportable.
J'ai des serrements au coeur, je manque d'air, j'ai des chaleurs étouffantes (crises d'angoisse qu'une collègue m'a appris à gérer), des migraines (j'ai jamais eu mal à la tête de ma vie), une irritabilité chronique et des menstruations irrégulières (qui varient de 50 à 70 jours et je suis en SPM perpétuel).
Je suis tellement mal dans ma tête que c'est mon physique qui se met à détraquer.
C'est reconnu, les aidants naturels ne survivent souvent pas aux proches dont ils ont la charge.
En ce qui me conçerne c'est clair, si je n'y laisse pas ma santé, j'y laisserai mon âme.
Et c'est rien, ça ce n'est que mon point de vue, demande un peu à mon mari comment il aime s'exposer comme ça...moi je ne fais que subir les "dommages collatéraux".